HOPKINSON SMITH

Hopkinson Smith has been called the most moving of present day lutenists...he approaches the lute's universe with a musicality which goes far beyond the seemingly limited voice of his instrument. We invite you to explore on this website the magic of his lute and its music.

Hopkinson Smith, c’est le luth final Sommité du renouveau baroque, l’Américain est en concert dimanche. Portrait.

En approchant Hopkinson Smith, on est d’entrée titillé par une question relevant quasi de l’éthologie. Et si l’instrument touché et bichonné une vie durant finissait par imprimer ses traits sur le tempérament du musicien? Et si l’un et l’autre glissaient progressivement vers une ressemblance frappante, comme on pourrait le constater par exemple auprès des chiens et de leurs maîtres? À défaut de pouvoir corroborer l’hypothèse, on se contentera de dire qu’avec le luth, l’artiste américain a trouvé un miroir, une projection et un prolongement en bois et en cordes de sa personnalité. Cela commence par la voix, aussi discrète et ronde que l’objet pincé, et se poursuit par la modestie du personnage, qu’on associera à la projection sonore tout à fait humble de l’instrument. 

L’osmose en question se rendra observable à Genève, où le musicien fait un passage pour le compte de la série Swiss Chamber Concerts qu’organise et dirige Daniel Haefliger. Les temps étant à la pandémie, l’événement sera visible urbi et orbi par le biais d’une rediffusion en live streaming, ce qui donne une saveur particulière à un des rares retours sous nos latitudes de cette grande figure. «Rien ne remplacera l’union entre l’artiste et le publicēt rien n’est aussi inspirant pour moi que de sentir la réactivité de ce dernier en concert», concède au téléphone Hopkinson Smith, qui se plie avec résignation aux normes sanitaires et aux trouvailles permettant de contourner leur caractère astreignant. 

Saoul d’idées nouvelles

Un fait est à peu près certain dans cette histoire: jamais le musicien n’aurait imaginé devoir appuyer un jour son art séculaire sur une technologie si sophistiquée et sur un mode de diffusion aujourd’hui en plein essor. Car l’homme est un artisan habitué à travailler avec le tangible et le sensible, en se frottant aux matériaux, aux goûts et aux esthétiques d’une tout autre époque, celle du baroque. Dans ce territoire, il y a des sommités qui ont participé à ce qu’on a appelé le «renouveau» d’un style dominant entre les XVIIe et XVIIIe siècles. Cette poignée de pionniers, dont il fait partie, s’est employée dès la 

fin des années 60 à retrouver l’esprit d’un répertoire éloigné, d’en reconstituer l’essence à l’aide d’instruments d’époque et d’une analyse des partitions entièrement renouvelée. 

L’approche interprétative qualifiée d’«historiquement informée», Hopkinson Smith se l’est appropriée tout de suite, en quittant l’Université Harvard, où il obtient un diplôme en 1972. En s’établissant en Catalogne, il s’ouvre à un nouveau monde, aux côtés du guitariste et pédagogue Emilio Pujol. Puis il y a Bâle, étape décisive, où il côtoie dans les travées de la prestigieuse Schola Cantorum le violiste Jordi Savall et la cantatrice Montserrat Figueras. Avec le couple, il participe alors à la fondation du célèbre ensemble Hespèrion XX, devenu plus tard XXI. Ce qui reste aujourd’hui de cette période? «Le souvenir d’une époque où on était tous saouls d’idées nouvelles et où la multiplication des contacts humains alimentait un mouvement de recherche perpétuelle.» 

Une fois l’expérience collective derrière lui, Hopkinson Smith met le cap vers un répertoire soliste qui se révèle dans toute son étendue. Il en explore alors des facettes en touchant à la guitare baroque et à sa version contemporaine, la vihuela. 

Mais c’est surtout avec le luth qu’il atteint un état d’entente fusionnel. Ses enregistrements dédiés à la grande figure de l’époque élisabéthaine, John Dowland, feront date. Tout comme ses extraordinaires transcriptions des «Sonates et Partitas» pour violon de Bach, parues en 2000. «J’ai commencé ce travail en 1990, sans me poser d’objectifs clairs. J’ai avancé lentement, en laissant mûrir toutes les idées et en rodant sur scène le résultat de la démarche.» Les partitions ainsi retravaillées sont-elles restées figées? Pas du tout. «J’ai l’habitude de dire à mes étudiants que dans un premier temps, je travaille beaucoup au crayon et surtout à la gomme. Et par la suite, quand je passe à l’encre, j’ai recours au Tipp-Ex. Quelque chose qui est fait n’est jamais arrêté à mes yeux.» 

Exploration constante 

L’impermanence des choses, la porte toujours ouverte aux possibles, ce sont des idées qui guident toute l’approche de l’interprète. «Je continue de passer un temps fou chez moi avec mon instrument pour découvrir de nouvelles sonorités et essayer des solutions inédites dans un passage précis. Cette exploration, ce contact constant avec le luth nourrissent l’homme et ses doigts et m’aident à me projeter vers l’avenir. Car ce qui me semble important, dans ma manière de jouer, c’est de renouveler la magie de l’instant de la création de cette musique, de remonter à une expérience qui a eu lieu il y a 500 ans.» 

S’il fallait renouer avec cette émotion première, lorsqu’on est simple auditeur et qu’on aimerait se familiariser avec un pan de ce vaste répertoire, on ne devrait pas manquer un album en particulier: le recueil dédié à Francesco da Milano (1497- 1543) paru en 2009. C’est là, dans ce corpus oublié, que l’Américain a déployé toutes ses armes d’explorateur pour faire surgir une poétique au raffinement simple et poignant. 

À 74 ans, l’infatigable Hopkinson Smith poursuit cette mission qui consiste à pérenniser un art fragile. Il s’y emploie aussi à la Schola Cantorum, en pédagogue patient. Les traits de son instrument profondément inscrits dans son âme. 

By Rocco Zacheo (Tribune de Genève, Nov. 11, 2020)